BALLET (HISTOIRE DU)

BALLET (HISTOIRE DU)
BALLET (HISTOIRE DU)

Le premier ballet a été dansé le 15 octobre 1581 dans la grande salle du Petit-Bourbon au Louvre, à l’occasion du mariage du duc de Joyeuse, favori de Henri III, avec Mlle de Vaudémont, sœur de la reine Louise de Lorraine. Ce spectacle apparaît comme la réalisation du rêve de Baïf, une fusion de tous les arts: musique, poésie, peinture et danse. Il va convenir par sa splendeur aux fêtes que désirent donner les monarchies d’Europe à leur apogée. Mais du même coup un art est né qui déborde le cadre des cérémonies royales et leur survit. Le ballet d’action au XVIIIe siècle répond au désir d’expressivité nouvelle inspiré par Diderot et les encyclopédistes puis, en mettant sur pointes la ballerine et l’habillant de blanc, les chorégraphes du XIXe mettent en scène une image romantique idéale de la femme.

À l’aube du XXe siècle, Isadora Duncan rejette la discipline académique et ouvre à la danse un champ d’investigation nouveau. Désormais les auteurs de ballets puiseront à deux sources: celle de la tradition, toujours vivante en Europe et aux États-Unis, et celle de l’invention dont on cerne difficilement les formes tant elles sont diverses et multiples.

1. Le ballet de cour (1581-1670)

Les premiers théoriciens

Avec le ballet, la danse devient spectacle.

Au Moyen Âge, processions, cérémonies funéraires, mascarades conduisent au ballet, mais il naît vraiment du bal à l’italienne à la fin du XVe siècle. Domenico da Piacenza, Guglielmo Ebreo, Antonio Cornazzano sont des théoriciens précis. Venise, Florence donnent des fêtes inspirées des mystères chrétiens et teintées de paganisme; et Laurent de Médicis les transforme en cérémonies chorégraphiques: en triomphes qui célèbrent les mariages et les entrées dans la ville de personnages fameux. Le ballet naissant capte la fête vivante et la restitue dans l’intimité de l’appartement ou dans le cube scénique du nouveau théâtre. Cesare Négri, un des plus célèbres maîtres à danser d’alors, dans le Grazie d’amore , note les figures nouvelles, dix variétés de pirouettes, et il recommande la position en dehors, la danse sur la pointe du pied. Dans Il Ballarino , en 1581, un de ses confrères, Fabritio Caroso, compte soixante-huit pas, dont l’intrecciata qui deviendra l’entrechat. Le premier livre imprimé, Art et instruction de bien danser , paraît à Paris à la fin du XVe siècle et Toinot d’Arbeau rédige en 1588 le premier traité français: L’Orchésographie . Les grands événements sont alors l’occasion de fêtes où se modèle la forme du ballet. Ainsi, pour le mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, le roi, dansant sur des vers de Ronsard, pousse en enfer Navarre et les huguenots. Mais il faut attendre 1581 pour voir clairement se fixer les caractéristiques du genre nouveau.

Le ballet instrument politique

C’est à l’occasion d’un mariage princier que Balthazar Beaujoyeux réalise cette année-là le projet de synthèse artistique envisagé par la Pléiade. Il fait rédiger les poèmes, écrire les musiques, dresser des décors et, suivant un dessin géométrique au sol, il règle une suite de danses, coupées de combats acrobatiques inspirés des joutes anciennes. Dans ce Ballet comique de la Reine , les danseurs amateurs et le prince, à la fois acteur et spectateur, interprètent une fable où les dieux délivrent Ulysse de Circé. Cet art puise dans l’Antiquité, le roman de chevalerie, l’Arioste, le canevas où broder le discours du pouvoir. Il s’agit de montrer que la personne royale, chargée de mérites et de vertus, est la plus propre à remédier aux désordres du monde. Pour en garder le souvenir, on publie le livret et l’on fixe dans des gravures ou des tapisseries les scènes les plus importantes, en veillant à en expliciter le sens. Ainsi, dans les tapisseries des Valois commandées par Guillaume d’Orange, l’illustration vise à défendre la politique de réconciliation et de tolérance prônée par Catherine de Médicis. Les ballets vont alors se multiplier à Pau, à Tours, à Paris, à la cour de Henri III et autour de Marguerite de Valois. Ils affirment leur vocation politique.

Le plus remarquable d’entre eux est celui d’Alcine . Baroque et burlesque, il fut donné en 1610 afin de renforcer le pouvoir de Henri IV. Pots de fleurs, hiboux, moulins à vent y dansent, et les chevaliers dessinent au sol les lettres d’un fabuleux alphabet. L’orchestre s’agrandit, les décors et les costumes sont somptueux, et la déclamation soutenue par la musique devient récitatif. Avec le même souci de donner d’elle une image parfaite, Marie de Médicis, régente, se met en scène dans Le Ballet de Madame sous les traits d’une Minerve annonciatrice d’âge d’or. L’auteur de cette œuvre, Étienne Durand, poursuit sa carrière chorégraphico-politique avec La Délivrance de Renaud , en 1617, ballet dans lequel Louis XIII proclame sa volonté de réduire toute désobéissance.

Mais que d’images contradictoires dans le ballet d’alors! Le monde n’est pas si transparent que le prétend le discours officiel. Les Circé, les Protée que l’on voit sur la scène interrogent son incohérence. Double, multiple, déguisé, l’homme de cour habite la terre comme un théâtre et sa vie se règle selon l’étiquette comme une danse. La pastorale idéalise la campagne. Où est la vérité? Les masques du ballet cachent des visages inquiets: « Ce que je tiens m’eschappe », écrit Étienne Durand. Le ballet de La Douairière de Billebahaut illustre une forme railleuse. Le Jeu du mail est d’une franche obscénité. Guillaume Colletet écrit alors un livret pour se moquer de la mode du ballet, puis il s’en veut le théoricien. Il désire élever cet art qui mêle musique, poésie, peinture, et qui lui semble fait pour dévoiler l’harmonie de l’univers. Cette ambition allégorique aboutit en 1632 au Grand Ballet des effets de Nature , œuvre digne et gracieuse. Les jésuites aussi ont de hautes visées, ils introduisent le ballet dans la tragédie et, dans leurs collèges, ils font danser des divertissements.

Au thème de la délivrance qui a dominé jusqu’en 1619 succède alors une mise en scène de la doctrine du droit divin. Puisque le pouvoir vient du ciel, le soleil symbolise Louis XIII, miracle du monde, qui apporte la paix, la liberté, l’abondance. Richelieu accentue encore cet aspect de propagande en modernisant le sujet du ballet: dans le Ballet de la marine , en 1635, et le Ballet de la prospérité de la France , en 1641, il commande que l’on orne les événements de l’histoire récente de motifs empruntés à la mythologie. La mode du ballet gagne alors non seulement la province: Avignon, la Lorraine, mais aussi l’Europe, et Descartes lui-même, en 1649, donne devant Christine de Suède un ballet politique: le Ballet de la naissance de la Paix .

Le roi danseur

La venue au pouvoir de Mazarin va marquer momentanément un recul du ballet. Amateur d’opéras, le ministre croit en l’influence magique de la musique. Il va favoriser les Italiens, et s’il appelle le chorégraphe Gianbattista Balbi dit Tasquin et le décorateur Giacomo Torrelli c’est pour assurer la mise en scène de la Finta Pazza en 1645. On admire à Paris les décors de l’Orfeo de Luigi Rossi, mais on commence à protester contre cette mode étrangère qui met la danse à l’écart. La Fronde alors coupe court à tout spectacle et il faut attendre les premiers jours d’une paix précaire pour assister aux débuts du jeune roi au côté de Benserade dans le Ballet de Cassandre . En dépit des troubles politiques, Louis XIV danse le Ballet des fêtes de Bacchus puis le rôle d’Apollon dans Les Nopces de Pélée et Thétis (1654). Il sait l’importance de la représentation; or, comment éblouir mieux que par cet art du bien-danser, l’un des trois exercices principaux de la noblesse? Il a vu Fouquet sur le point de le dépasser par une parade à Vaux en 1661, mais trois ans plus tard il entraîne la cour dans un spectacle étourdissant: Les Plaisirs de l’île enchantée . Toute la vie de Louis XIV devient un ballet: à Versailles, il se lève, il dîne, il reçoit au son des musiques de Lully. Pour atteindre la beauté mesurée, composée, classique, il fonde en 1661 l’Académie royale de danse. C’est un échec, mais le rôle de son maître à danser, Charles-Louis Beauchamp, sera très important: chorégraphe, musicien de Molière pour Les Fâcheux , Psyché , il développe le professionnalisme, définit les cinq positions de base et affine les figures issues du geste naturel. On doit à son élève, Raoul Feuillet, la description précise de son enseignement dans La Chorégraphie, ou Art de noter la danse (1700).

2. La danse et le théâtre (1570-1789)

La comédie-ballet

Le ballet connaît le danger de se faire absorber par l’opéra; il y échappera grâce à Molière qui veut l’intégrer profondément au théâtre; l’importance de cette tentative sera reconnue plus tard. Certes, il arrive à Molière d’avoir tout simplement recours au ballet de cour dans Le Mariage forcé ou à des danses décoratives dans ses premières pièces, mais dans Les Fâcheux déjà, en 1661, il regrette que « certains moments dansés n’entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d’autres ». Le Bourgeois gentilhomme consacre une réussite parfaitement originale. Le ballet s’y trouve lié à l’action grâce au maître de ballet qui donne la leçon de menuet, règle les pas des serviteurs et la turquerie finale.

En rachetant le privilège qui lui donne le monopole de ce type de spectacles, Lully se brouille avec Molière, mais ce dernier parvient à faire lever l’interdit et meurt en dansant Le Malade imaginaire... Dans le rôle de Neptune des Amants magnifiques , Louis XIV danse pour la dernière fois.

Pourtant, le ballet poursuivra sa carrière. Psyché , en 1671, réunit Corneille, Molière, Charles-Louis Beauchamp, Lully, Gaspare Vigarini. Le père Menestrier regrette l’invraisemblance de ce ballet mais comment donner l’impression d’être vrai, quand on veut éblouir avec soixante-dix maîtres à danser et trois cents personnes suspendues dans les airs? Lorsque est fondée l’Académie royale de danse, les ballets de Lully ne sont que des patchworks d’œuvres antérieures, tel ce Triomphe de l’amour (1681) où pour la première fois des danseuses professionnelles entourent la plus célèbre d’entre elles, Mlle de Lafontaine. Lully se garde bien de devancer le goût, et la nouveauté de ces spectacles réside dans la qualité des danseurs; on remarque ainsi: Louis Pécourt, noble et cultivé, Nicolas Blondi, Jean Ballon, renommé pour sa légèreté, et Marie Subligny. Pour parfaire leur style, l’école de danse de l’Académie royale est créée en 1713 sous la direction de Jean-Baptiste Lany puis de Maximilien et Pierre Gardel. Outre Raoul Feuillet qui note le mouvement, Pierre Rameau publie en 1725 Le Maître à danser . Une technique académique se met en place.

L’opéra-ballet

André Campra lance alors un genre neuf, l’opéra-ballet, dont le chef-d’œuvre est Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau (1735). On y voit le dieu de l’Amour abandonner l’Europe, trop passionnée par la guerre, pour l’heureuse Amérique, mais cet opéra constitue comme une revanche de l’esprit français puisque le chant y introduit la danse, tout au contraire de ce qu’exigeait la mode italienne au siècle précédent. Les femmes portent des robes longues, les hommes des jupes, mais la scène s’ouvre au plaisir. Parmi les nouveaux danseurs, on dit que le grand Louis Dupré manque d’âme, mais Marie-Anne Cupis de Camargo, par ses cabrioles, éclipse Françoise Prévost: elle a coupé sa robe afin qu’on la voie battre l’entrechat quatre; formée au théâtre de foire, Marie Sallé a la réputation d’être plus expressive. Elle crée le rôle de Rose dans Les Indes galantes et touche par la simplicité harmonique de ses mouvements tendres. La cour soutient Sallé; le public, Camargo. Dans le même temps où l’on ose montrer un peu de son corps – le bas de la jambe –, les progrès techniques s’accélèrent: Barbarina Companini bat l’entrechat huit. Quant à Gaëtan Vestris, il va ajouter à la danse noble l’expressivité. Admirateur de Jean Georges Noverre, il imposera le ballet d’action.

Le ballet d’action

Dans l’Encyclopédie de Diderot, Louis de Cahusac souligne la nécessité d’une évolution pour le ballet mais c’est l’Europe entière qui apparaît maintenant comme le laboratoire de la nouvelle danse. En effet, à Stuttgart puis à Saint-Pétersbourg, le Viennois Franz Hilferding (1710-1768) introduit dans le ballet le réalisme, les personnages populaires, et la tragédie avec Britannicus . Noverre (1727-1810), grand novateur, travaille à Londres sous la direction de David Garrick dont la pantomime tragique l’impressionne. Chassé d’Angleterre, écarté de l’Opéra de Paris, il travaille à Strasbourg, à Marseille, à Lyon, et publie les Lettres sur la danse et sur les ballets en 1760. Pour être une copie de la nature, la danse doit s’adresser à l’âme, éviter la symétrie, offrir un beau désordre. Il faut pourtant composer, ne pas mêler les genres, respecter la vraisemblance et la vie, mais point n’est besoin de la musique de Lully, froide et langoureuse, non plus que des sauts furieux de l’Italien Fossanz plus importants que les jambes; la physionomie demeure le lieu privilégié de l’expression. Plus de masques froids, de perruques et de paniers! Le chorégraphe doit tout savoir. « Rien n’est si nécessaire que le tour de cuisse en dehors pour bien danser et rien n’est si naturel aux hommes que la position contraire. » Il étudiera l’anatomie, la musique, la peinture, sans perdre de vue que la sensibilité est la source du génie. Le duc de Wurstenberg, à qui les Lettres sont dédiées, l’appelle à Stuttgart. Vestris introduit à Paris son Médée et Jason , et, à cette occasion, il abandonne le masque; et Maximilien Gardel, en dansant son Castor et Pollux en 1772, renonce à la perruque. Marie-Antoinette, en 1776, l’impose à Paris. Vestris y crée Les Petits Riens de Mozart où brille Marie Allard sans paniers, mais la Guimard mène une cabale et il lui faut se retirer, céder la place à Jean Dauberval et à Gardel, adaptateur d’opéras-comiques comme Le Déserteur en 1786. Pendant la Terreur, Noverre monte des ballets à Londres puis revient en France pour y mourir.

Noverre a changé l’esprit de la danse. Il a élevé au rang d’un art un spectacle qui semblait appartenir encore au divertissement de cour. Le chorégraphe désormais sera reconnu à l’égal du musicien, du poète, du peintre, comme un auteur. Quant à l’histoire du ballet, elle deviendra au cours des ans de plus en plus complexe puisque les scènes où l’on crée des œuvres nouvelles se multiplient en Europe. De 1812 à 1821, Salvatore Vigano impose à la Scala le style de Noverre: Stendhal le compare à Shakespeare. Un élève d’Hilferding à Saint-Pétersbourg, Gasparo Angiolini, tente des formes modernes et Charles-Louis Didelot (1762-1836) s’en inspirera pour créer l’école russe.

3. Le romantisme en France

Jean Dauberval

En France, les événements de la Révolution vont donner un autre cours à l’évolution du ballet. Jean Dauberval, disciple de Noverre, crée à Bordeaux en juillet 1789 La Fille mal gardée , histoire heureuse d’une passion paysanne, mais il a dû quitter l’Opéra où règnent désormais les frères Gardel. Pierre Gardel remporte en 1790 un grand succès avec sa Psyché qui aura 1 161 représentations. Il monte aussi Le Triomphe de la République en 1793, et ces réussites contribuent à ce que la danse en tant que spectacle prenne le pas sur l’Opéra. En 1800, le public parisien se précipite pour voir sa Dansomanie , une satire des danses du XVIIIe siècle où apparaît la valse pour la première fois. Il monte également des œuvres pleines de tendresse (Paul et Virginie , en 1808), mais ne parvient pas à créer un style nouveau. Bien qu’il veille à ce que la pantomime ne l’emporte pas sur la danse, le ballet s’oriente vers l’acrobatie et ce sont de pâles lueurs de romantisme que l’on peut entrevoir avec La Somnambule de Jean-Pierre Aumer en 1827, et Manon Lescaut en 1830.

Les jolies mortes: « La Sylphide », « Giselle »

Les conditions historiques pourtant seront bientôt réunies pour une renaissance profonde du ballet.

La Révolution et l’Empire ont passé. Sous l’influence croissante d’une Église qui empêche les paysans de danser et fait fermer l’Opéra de Paris, la Restauration favorise l’apparition d’un nouveau type de danseuse. Certes, Geneviève Gosselin était montée sur pointes, mais Marie Taglioni donne un sens à cette innovation. Sans trace d’efforts ni de sensualité, elle danse comme si elle n’avait pas de corps. Le surnom qu’on lui donne « Marie pleine de grâce » lui convient à merveille. Elle a la pâleur chrétienne d’Atala. Dans l’opéra de Meyerbeer, Robert le Diable , en 1831, Henri Duponchel imagine des spectres de nonnes sortant de leur tombeau pour une valse. C’est la première apparition de la morte, dont Fillipo Taglioni fixe l’image idéale avec La Sylphide . Le livret d’Adolphe Nourrit s’inspire du Trilby de Charles Nodier. Au premier acte, les danses du monde vivant brillent de toutes leurs couleurs afin de mieux faire apparaître au deuxième acte, avec le ballet blanc, la gaze, le tulle, la tarlatane, les mystérieux rivages de l’autre vie. La Sylphide porte des chaussons de satin, des ailes transparentes, une couronne virginale... et sa robe deviendra bientôt à la ville celle des premières communiantes et des mariées. Devant l’immatérielle beauté, le danseur s’efface, il se fait porteur et c’est l’envol impondérable d’une danse toute ballonnée qui est la caractéristique du ballet romantique.

Marie Taglioni se retire en 1837. Autre chef-d’œuvre de même inspiration, Giselle date de 1841: « Voilà la jolie morte dont nous avions besoin », s’écrie Théophile Gautier qui est l’auteur du livret. Le thème se trouve dans Les Orientales de Victor Hugo, mais le plan reste conforme à celui de La Sylphide ; la danseuse nouvelle se nomme Carlotta Grisi et le meilleur de la chorégraphie est de Jules Perrot, maître de ballet à Londres. La musique d’Adolphe Adam entraîne des tourbillons blancs de personnages féeriques dans la nuit et, à partir de cette illusion d’éternité, s’invente une danse à la pureté de diamant où s’exprime le secret de la mélancolie. Deux ans plus tard, pour Carlotta, Gautier écrit La Péri . Une autre étoile est apparue en 1834 dans La Tempête de Jean Coralli: Fanny Essler. Avec ses petits pas serrés qui attaquent les planches, elle est le pôle terrestre et païen du romantisme. Dans Le Diable boiteux , s’accompagnant de castagnettes, elle interprète une cachucha, aussi les taglionistes éprouveront-ils comme un sacrilège qu’elle reprenne les rôles de La Sylphide et de La Fille du Danube , qui devaient rester les pures interprétations de Marie. Sous le second Empire, l’auteur du Roman de la momie écrit encore Sacountala pour Amalia Ferraris, mais les grandes étoiles ont disparu.

Violoniste, auteur de la Sténochorégraphie , Arthur Saint-Léon vient de Saint-Pétersbourg à Paris monter La Source mais il recueille plus de succès avec la Coppélia de Léo Delibes et Giuseppina Bozzachi, en 1870. Malgré Sylvia et Les Deux Pigeons d’André Messager, le ballet s’endort. Après la mort de Louis Merante, l’opéra ne brille que par la beauté statique de Cléo de Mérode. On ne danse plus. Carlotta Zambelli exceptée. Mais ce triste moment de décadence sera pourtant marqué par l’incomparable réflexion de Stéphane Mallarmé dans Crayonné au théâtre : « La danseuse n’est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés qu’elle n’est pas une femme, mais une métaphore résumant un des aspects élémentaires de notre forme, glaive, coupe, fleur, etc., et qu’elle ne danse pas, suggérant, par le prodige de raccourcis ou d’élans, avec une écriture corporelle ce qu’il faudrait des paragraphes en prose dialoguée autant que descriptive, pour exprimer, dans la rédaction: poème dégagé de tout appareil de scribe. »

4. Le ballet classique en Europe et l’influence russe

Si le ballet romantique semble à Paris peu à peu s’éteindre, le feu de la danse continue de brûler clairement dans les trois pays d’Europe où il fut allumé au début du siècle: l’Italie, le Danemark, la Russie.

L’école italienne et danoise

Auteur du Manuel complet de la danse , Carlo Blasis (1785-1878) prépare à Milan des danseuses qui brilleront à Paris et à Saint-Pétersbourg: Rosita Mauri, Carlotta Brianza, Virginia Zucchi, Pierina Legnani. Un élève de Vestris, Auguste Bournonville (1805-1879), implante l’école française au Danemark. Il monte de nouveau La Sylphide pour Lucile Grahn (1836), puis des ballets où la pantomime joue un grand rôle: Loin du Danemark , La Kermesse de Bruges . Il y mêle la danse noble, expression lyrique du bonheur, à des pas de folklore, et, avec Napoli , affirme son goût pour les danses nationales. Directeur du ballet danois à partir de 1930 et auteur d’un hommage à la danse académique dans Études , Harald Lander maintient cette école qui fournit des danseurs aux meilleures compagnies.

Les grandes figures venues de Russie

Au pays des tsars, le ballet apparaît tardivement – Catherine fonde la Direction des théâtres impériaux en 1766 – mais il va connaître un développement incomparable. À la charnière des siècles, Ivan Valberkh monte le nouveau Werther avec scandale et succès, puis des ballets patriotiques, un Festival des armées alliées à Montmartre ; il dirige également le ballet de Saint-Pétersbourg. Charles-Louis Didelot règle des œuvres mythologiques dont l’étoile est Maria Danilova, puis des tragicomédies. Après une reprise de La Fille mal gardée , il donne Le Prisonnier du Caucase sur un poème de Pouchkine avec Avdotia Istomina, la ballerine célébrée dans Eugène Onéguine ; l’intérêt se porte alors sur la vérité des caractères, la couleur locale, les danses populaires, la liberté du corps et quelques rudiments de pointe. Il faut attendre Marie Taglioni et La Sylphide en 1837 pour que la grande danse romantique pénètre en Russie. Andreyanova danse Giselle en 1842. Puis Fanny Essler arrive en 1848 pour rencontrer Jules Perrot qui prépare La Esmeralda . Gautier dit alors que le corps du ballet de Saint-Pétersbourg « n’a pas son pareil pour l’ensemble, la précision et la rapidité des évolutions ». Paris bientôt n’est plus le centre du monde dansant. Un mouvement d’opposition au ballet pourtant se développe en Russie, conduit par des écrivains: Saltykov Schedrine et Nikolaï Alexeïevich Nekrassov. Ils refusent ce spectacle du mensonge et veulent lier l’art au réel. Mais un magicien comme on en voit dans les contes de fée va s’emparer de la scène.

Marius Petipa

Présent plus d’un demi-siècle en Russie, Marius Petipa devient la figure dominante du ballet. Sa collaboration avec Tchaïkovski, à partir de 1890, puis avec Glazounov (Raymonda , 1898) et le soin avec lequel il forme ses danseurs expliquent son succès. Ses œuvres seront interprétées par sa femme, Maria Surovshchikova, par Maria Muravieiva, Yekaterina Vazem, Yevgenia Sokolova, Varvara Nikitvina, les danseurs Sergei et Nicolas Legat, et surtout Pavel Gerdt qui établit la tradition d’élégance et sera le maître de Pavlova. Venu de Marseille, Petipa monte La Fille du pharaon (1863) d’après Le Roman de la momie puis La Belle du Liban . Sans se soucier du drame, son ballet devient un enchaînement de solos, de pas de deux brillants, une suite de perles chorégraphiques. À la tête de la troupe de Saint-Pétersbourg en 1869, il donne un Don Quichotte qui éblouit Auguste Bournonville par son décor, mais le choque par l’absence de grâce et de raison dans la composition. Le goût pour le clinquant s’accentue avec La Belle au bois dormant , qui reste un triomphe grâce à Lev Ivanov, chorégraphe, Enrico Cecchetti et Carlotta Brianza. En 1895, aidé d’Ivanov, il donne à Saint-Pétersbourg Le Lac des cygnes , qui était au répertoire du Bolchoï depuis 1877, dans des chorégraphies de Wenzel Reisinger et de Joseph Hansen. Ivanov monte aussi Le Casse-Noisette . Pour Marius Petipa le conte de fée est pur prétexte à affiner le pas académique, à étonner plus qu’à émouvoir et ce sont les trente-deux fouettés qui font voleter au-dessus du sol Pierina Legnani, dédaignant de toucher terre. La beauté classique cède ici à la virtuosité italienne mais en un pays où la sensibilité des interprètes empêche de trop froides broderies. À Moscou par contre, avec Alexandre Gorski et Ivan Clustine, le ballet se dramatise. Gorski monte La Belle , un Don Quichotte , et ira jusqu’au drame mimé avec Salâmmbo en 1910. Que de ballerines alors! Kchessinskaïa, première danseuse russe à exécuter les trente-deux fouettés, Preobrajenska, Pavlova, fragile dans La Mort du cygne de Mikhaïl Fokine, Tamara Karsavina enfin! Fokine avec Eunice rêve une fusion des arts et Serge de Diaghilev redonne vie à la danse.

Diaghilev et les Ballets russes

Fondateur de la revue Le Monde de l’art qui parut de 1898 à 1905, Serge de Diaghilev est un amateur génial et un imprésario avisé. Après avoir organisé une grande exposition, Deux Siècles de peinture et de sculpture russes , il fait connaître à Paris Chaliapine, puis lance en 1909, au théâtre du Châtelet, un programme de Ballets russes dont Marcel Proust parle comme d’une efflorescence prodigieuse. Cette nouvelle forme de spectacle en appelle à la danse, à la musique, mais aussi à la peinture et bientôt à la poésie. Diaghilev sait rassembler les talents. Et son amour du travail artistique bien fait ne l’empêche nullement d’accueillir les tentatives audacieuses. Pendant vingt ans, les Ballets russes vont occuper le devant de la scène et leur inventeur veillera sans relâche à en renouveler la formule.

Pendant la première période de leur histoire, jusqu’en 1912, le succès des Ballets russes tient à ce que Diaghilev accorde une égale importance à la chorégraphie, au décor, à la partition et à l’exécution. La direction chorégraphique est alors confiée à Mikhaïl Fokine, qui aspire à l’unité absolue et harmonieuse de tous ces éléments. Sur une musique de Chopin, Les Sylphides , en 1909, sont une épure du ballet académique et romantique. Ici la danse ample et moelleuse s’oppose au pompiérisme de Marius Petipa. À l’occasion d’une reprise: Giselle , en 1911, ou de plusieurs créations, Le Pavillon d’Armide , en 1909, Le Spectre de la rose , en 1911, Fokine rend à la tradition sa vivacité, son éclat, mais ne refuse pas pour autant les œuvres inspirées par le folklore telles Les Danses polovtiennes du prince Igor , en 1909, ou les spectacles éblouissants comme Shéhérazade , avec Ida Rubinstein, en 1910.

Les tableaux de ces ballets se succèdent sous un éclairage « incarnadin ou lunaire » auquel on a prêté la plus grande attention, et les peintres Nicolas Roerich, Alexandre Benois et Léon Bakst brossent des décors aux lignes souples et aux teintes éclatantes. Habitué à des intérieurs pâles et à un univers du ballet fantomatique, blanc et noir, le public français voit surgir sur la scène l’Orient dont ont rêvé ses peintres et ses poètes. L’irruption des couleurs l’enthousiasme au point d’influencer la mode. Après Shéhérazade , les décorateurs et les couturiers s’inspirent de Bakst.

C’est encore l’Orient qui envahit la musique. Outre Weber et Chopin, Diaghilev choisit des compositeurs qui ont intégré toute la puissance du folklore russe. Ce sont les musiciens du Groupe des Cinq, Borodine pour Le Prince Igor , Rimski-Korsakov pour Shéhérazade , puis un jeune élève de ce dernier, Igor Stravinski, à qui il commande la musique de L’Oiseau de feu en 1910. Ces partitions frémissantes surprennent et séduisent par leur énergie rythmique et leurs nouvelles couleurs harmoniques.

Diaghilev a engagé des danseurs qui sortent de l’École impériale de ballet de Saint-Pétersbourg. Ils ont été formés selon les règles de la meilleure tradition académique et romantique héritière du style français à travers Petipa et Nicolas Legat, et du style italien à travers Enrico Cecchetti. Aux prouesses dont étaient capables des danseuses comme Pierina Legnani la sensibilité russe ajoute une fougue et un sens de l’expression dramatique qui savent émouvoir. Fameuse pour sa légèreté, Anna Pavlova restera prisonnière d’une conception classique; en revanche, Tamara Karsavina saura se plier aux exigences du ballet moderne. Vaslav Nijinski invente le bond qui est, selon Claudel, « la victoire de la respiration sur le poids ». Battant l’entrechat douze, Nijinski semble suspendu en l’air et l’on découvre que le danseur peut échapper à son rôle ridicule de figurant et de porteur. Quant au corps de ballet, ses vingt-cinq Sylphides n’en font qu’une: il forme un tout parfait.

Sur une musique de Stravinski et dans des décors de Benois, les scènes burlesques de Petrouchka , en 1911, marquent un tournant. Cette comédie de tréteau fournit à Fokine l’occasion de parodier la danse d’école en présentant une danseuse de rue alors que Nijinski interprète le personnage populaire du pantin émouvant et désarticulé.

Dès 1912, Diaghilev fait appel à des musiciens occidentaux: Ravel pour Daphnis et Chloé , Debussy pour L’Après-Midi d’un faune sur un poème de Mallarmé. La chorégraphie de ce ballet est confiée à Nijinski. Pour inventer une danse moderne, le danseur se tourne, comme Isadora Duncan, vers l’Antiquité. L’œuvre apparaît comme une suite d’images statiques, d’une tristesse poignante. De profil, pieds nus, avec des mouvements et des gestes stylisés à l’extrême, les nymphes forment une frise vivante inspirée des vases grecs, mais, couché sur le voile que l’une d’elles abandonne, le faune fait scandale. On lui reproche un geste obscène, et aussi la rupture avec l’académisme. Ramassé, puissant, désarmé, entre deux nymphes insaisissables, Nijinski interprète en fait son propre personnage. Il ne s’engage pas avec moins de violence dans Le Sacre du printemps , réglant sa danse en rêvant à un primitivisme dont bien des artistes partageaient le goût dans la Russie de 1910 autour du peintre Kazimir Malevitch. Le scandale du Sacre n’est pas simplement musical. La chorégraphie y apparaît comme une sauvage « danse de Caraïbes, de Canaques... » On y rampe « à la manière des phoques », disent les chroniqueurs, et ils traitent de dément le chorégraphe, qui aspire à la modernité et qui sombrera dans la folie.

Sur le plan chorégraphique comme sur le plan musical, Le Sacre du printemps occupe une place comparable à celle des Demoiselles d’Avignon de Pablo Picasso en peinture. Là encore, sous le prétexte d’une reconstitution archéologique de danses antiques, Nijinski a rompu avec la conception académique de la grâce. À la position ouverte il oppose la position rentrée: la pointe des pieds en dedans. Au buste droit il substitue le corps courbé vers la terre. Tourbillon de rouge et de blanc sur le fond vert du décor, Le Sacre du printemps est un manifeste d’énergie brutale.

Dès avant 1914, les Ballets russes ont fait appel à des compositeurs occidentaux; cette tendance va s’accentuer avec la guerre, qui coupe Diaghilev de ses sources russes. Après sa rupture avec Nijinski en 1917, il engage un nouveau chorégraphe, Léonide Massine, dont le style personnel, trépidant et sec, se tournera plus tard vers une forme de spectacle ambitieuse et monumentale. Ses débuts se font avec Les Contes russes et les femmes de bonne humeur , inspiré de Goldoni, en 1917, puis, la même année, il monte Parade sur un argument de Jean Cocteau et une musique d’Erik Satie. Les costumes de Picasso, véritables sculptures cubistes, et la partition, qui utilise le revolver et la machine à écrire comme instruments, scandalisent un public désorienté par un ballet où les personnages ne sont plus les interprètes d’une histoire. Dans le compte rendu qu’il fait de ce spectacle, Guillaume Apollinaire emploie pour la première fois le mot: surréalisme. Massine aura plus de succès en 1919 avec La Boutique fantasque , dans les décors d’André Derain, puis avec Le Tricorne , dont la musique a été commandée à Manuel de Falla. L’année suivante il donne Pulcinella .

D’une manière très éclectique, Diaghilev réunit les meilleurs peintres de son temps: Picasso, Derain, déjà cités, puis Braque, Matisse, Utrillo, Chirico, Rouault, mais aussi les naïfs, les constructivistes, l’avant-garde russe – Michel Larionov, Nathalie Gontcharova –, les surréalistes – Ernst, Miró –, de sorte que le critique André Levinson peut lui reprocher de laisser la peinture prendre le pas sur la danse.

En 1921, une brouille avec Massine conduit à engager la sœur de Nijinski, Bronislava Nijinska, qui dirigeait une école de danse à Kiev. Elle améliore la technique académique de la compagnie en apportant beaucoup de soin à l’étude du saut et de l’élévation. Inspiré par la musique de Stravinski, son chef-d’œuvre Noces (1923) n’est pas sans rappeler, par ses lignes franches et son argument – un rite érotique –, l’ambition profonde de Nijinski.

Nijinska signe Les Fâcheux en 1924 sur une musique de Georges Auric puis Les Biches de Francis Poulenc. Le retour de Massine avec Zéphire et Flore en 1925 est l’occasion de découvrir un jeune danseur, Serge Lifar.

Secondé par Boris Kochno, Diaghilev n’a rien perdu de son goût pour la nouveauté puisqu’il confie La Chatte aux soins de Naum Gabo et Antoine Pevsner pour le décor, à Olga Spessitseva et Serge Lifar pour l’exécution, à Balanchine pour la chorégraphie. Ce sont tous des jeunes gens. Sur une partition de Prokofiev, Le Pas d’acier fait écho à la révolution soviétique. Quant aux dernières années des Ballets russes, leur histoire se confond avec celle des débuts de Balanchine.

Diaghilev a compris que la danse romantique était frappée de stérilité. Rompant avec l’académisme, il permet sa renaissance en ballet pantomime – Petrouchka –, ou en une forme révolutionnaire puissante – Le Sacre du printemps –, ou proche de l’abstraction – Les Sylphides . « Un véritable spectacle d’horlogerie infaillible », écrit Anna de Noailles: « On eût cru voir danser ce que l’on appelle dans les livres d’école la table de Pythagore! » En se soumettant à cette rigueur, le ballet rejoint les audaces musicales et picturales du XXe siècle.

Si les Ballets russes furent jugés d’une façon critique par certains courants d’avant-garde comme le mouvement surréaliste, ils exercèrent cependant une influence sur de nombreux créateurs de la danse moderne. Ainsi, Martha Graham reste marquée par Le Sacre du printemps .

De 1920 à 1925, imitant la formule inventée par Diaghilev, les Ballets suédois de Rolf de Maré proposent des programmes audacieux par les livrets, les décors, les partitions: Les Mariés de la tour Eiffel , écrit par Jean Cocteau, Relâche dans les décors de Francis Picabia, musique d’Erik Satie, film de René Clair, mais les chorégraphies de Jean Borlin restent faibles.

Un classicisme neuf: Balanchine

Nouveau venu, George Balanchine monte alors Jack in the Box puis La Chatte dansé par Serge Lifar et Olga Spessitseva sur une musique de Henri Sauguet. Balanchine a été formé au Marinski dans l’explosion qui a suivi la révolution de 1917. Il quitte l’U.R.S.S. en 1924. À Paris, dans Le Fils prodigue , il mêle le langage du cirque et celui de la Bible, mais, Serge Lifar lui soufflant l’Opéra de Paris, il porte le style classique en Amérique avec Sérénade en 1934. Grâce à Lincoln Kirstein, il fonde en 1948 le New York City Ballet et, pour la première fois, une ville hors d’Europe devient centre de la danse. Stravinski lui dicte ses plus belles réussites: Monumentum pro Gesvaldo , Agon . L’œuvre reste très variée avec une Coppélia , des ballets sur partition de Paul Hindemith ou de Iannis Xenakis. Défendu par les longues danseuses du Nouveau Continent – Maria Talchief, Tanaquil Leclerc, Suzanne Farrel – ou des artistes d’Europe comme Violette Verdy, le style de Balanchine incarne l’élégance, la clarté d’un classicisme neuf. Autre bourgeon du Ballet russe, Marie Rambert, assistante de Nijinsky pour Le Sacre du Printemps , est à Londres où la rejoint Frederick Ashton appelé plus tard par Ninette de Valois à la direction du Royal Ballet. On lui doit La Fille mal gardée , en 1960; des œuvres insolites, telle The Wedding Bouquet , sur un livret de Gertrude Stein; de nombreux classiques comme Marguerite and Armand pour Margot Fonteyn et Rudolf Noureev.

Serge Lifar

Quant à Serge Lifar, il règne presque sans interruption sur l’Opéra de Paris de 1931 à 1958. Formé par Diaghilev et Enrico Cecchetti, il se proclame choréauteur (Manifeste du chorégraphe , 1935). Le ballet n’est à ses yeux l’illustration d’aucun art. La musique doit s’adapter au canevas rythmique. Sur de simples percussions, dans un décor de Picasso, il règle le ballet Icare dans un vocabulaire néo-classique. Avec Salade , il ajoute à son style des mouvements acrobatiques puis, dans Le Chevalier et la Demoiselle , des pas du Moyen Âge, et il invente enfin une sixième, une septième position. La Suite en blanc dresse le dictionnaire de l’académisme. Citons encore Mirage en 1947; Lifar a de plus assuré la reprise de Giselle au répertoire et suscité l’apparition d’une pléiade d’étoiles: Solange Schwarz, Lycette Darsonval, Yvette Chauviré, Liane Daydé, Claude Bessy, Serge Peretti, Michel Renault.

Le ballet en U.R.S.S. après la révolution

Mais tous les danseurs de l’école russe n’ont pas quitté l’U.R.S.S. La révolution de 1917 devait proposer à l’art de nouvelles perspectives. Pour Anatoly Lounatcharski l’abolition du ballet eût été un crime. Elizabeth Gerdt porte seule pendant un temps le répertoire classique et Vassili Tikhomirov redonne au Bolchoï La Belle au bois dormant . Dans les circonstances politiques nouvelles, les œuvres anciennes prennent parfois un sens inattendu: Le Lac des cygnes de Leonid Leontiev a valeur antiraciste, puis c’est La Tourmente rouge de Fyodor Lopukhov en 1924. Fokine a quitté la Russie et Agripina Vaganova fonde à Leningrad une école du plus pur style classique incarné par son élève Marina Semenova. Sur la quatrième symphonie de Beethoven, Fyodor Lopukhov règle une danse-symphonie qui fait scandale et il rédige son credo chorégraphique en faveur d’une stricte correspondance entre musique et danse. De 1917 à 1924, A. Gorski dirige le Bolchoï où il donne un Lac des cygnes en tuniques du style Isadora Duncan. Appelée
à Moscou, Semenova y rencontre Alexei Yermolayev qui redonne une certaine noblesse au rôle masculin. Avec des danseurs de formation académique et le désir d’une danse adaptée à l’époque nouvelle, Kasyan Goleizovski crée une compagnie privée: le Ballet de chambre. On lui reproche de glisser vers le tableau vivant. Toutes ces initiatives témoignent encore d’une recherche vivante, mais Le Pavot rouge apparaît comme le premier succès du ballet dramatique qui va dominer les années trente avec son héroïsme romantique et ses bons sentiments. Sur une musique de Boris Asafiev et une chorégraphie de Vasily Vainonen, Les Flammes de Paris , interprété par Vakhtang Chaboukiani et Olga Lepechinskaya, est un mélange de danse classique et de danse de caractère. Le plan de l’année 1934 met l’accent sur le patrimoine, et l’on compose d’après Pouchkine, chorégraphié par Rostislav Zakharov selon les principes de Stanislavski, La Fontaine de Bachisaraï . Galina Oulanova, future admirable Giselle et Konstantin Sergeyev y font leurs débuts. Formée comme eux par Vaganova, Natalia Doudinskaïa brille dans La Bayadère . Leonid Lavroski donne Catherine puis Roméo et Juliette de Prokoviev. Mais l’histoire du ballet en U.R.S.S. dépasse le cadre du Bolchoï et du Kirov. Des troupes sont créées dans les Républiques, et à Novosibirk par exemple on remarque Nikita Dolgouchine et un jeune chorégraphe, Oleg Vinogradov. Dès 1930, un nouveau théâtre, le Malégot, est apparu à Leningrad dirigé par Fyodor Lopukhov. Konstantin Boyarsky y monte Petrouchka , L’Oiseau de feu , et son plus grand succès, La Jeune Fille et le Voyou dansé par Valery Panov sur une musique de Chostakovich.

Le classicisme moderne en U.R.S.S.

Un chorégraphe novateur, Leonid Yacobson, se fait connaître par un impressionnant Spartacus avec Askold Makarov et Alla Shelest, puis, en 1958, par ses Miniatures chorégraphiques. À Moscou, les maîtres de danse, Messerer et Marina Semonova, forment Maya Plissetskaïa, Marius Liepa, Vladimir Vassiliev. Oulanova veille sur Yekaterina Maximova et sur la jeune et brillante Ludmila Semeniaka. Ils ont fait du Bolchoï le haut lieu du classicisme. Depuis 1964, le chorégraphe Yieri Grigorovich y règle avec une sèche rigueur des ballets d’action – Spartacus , Ivan le Terrible , avec Natalia Bessmertnova. Le maître de danse Pouchkine à Leningrad forme une génération superbe: Youri Soloviev, Rudolf Noureev, Mikhail Barychnikov. Ces deux derniers ainsi que Natalia Makarova quittent l’U.R.S.S. et Irina Kolpakova doit défendre presque seule le classicisme pur en un corps de ballet dont Oleg Vinogradov prend la direction avec beaucoup d’intelligence et un grand souci d’ouverture esthétique. Auteur de Ieroslavna qui maltraite le thème du héros positif, il donne au Kirov des reconstitutions: Giselle , La Bayadère , Le Lac des cygnes et des ballets teintés de satire, influencés par le nouveau théâtre, tel Le Revizor en 1981.

5. La naissance du ballet moderne

Ainsi, la danse académique se ramifie en plusieurs branches maîtresses, française, russe, anglaise, danoise et américaine depuis l’implantation de Balanchine à New York,
mais l’histoire du ballet au XXe siècle ne se limite pas à cet épanouissement de la tradition. L’aube du siècle est marquée par une contestation violente de l’académisme et la naissance d’une danse nouvelle qui suscitera très rapidement et en des lieux différents une intense prolifération de formes. Les deux foyers principaux sont, à l’origine, les États-Unis et l’Allemagne, mais les échanges entre divers mouvements sont si fréquents et complexes qu’ils rendent délicate une description qui voudrait faire coïncider frontière politique et frontière chorégraphique.

Isadora Duncan

Nul ne conteste que la nouvelle danse ait fait ses premiers pas aux États-Unis, pieds nus. L’influence académique y est faible en 1900 et un Français, François Delsarte, a préparé la révolution esthétique en dressant un répertoire de gestes en relation avec l’émotion. Alors survient Isadora Duncan. Le ballet classique lui semble inhumain. En révolte contre un puritanisme où elle puise aussi son énergie, elle aspire à une expression de soi. Au bas-relief grec elle emprunte le port dionysiaque de la tête et veut que son mouvement initial en engendre une série d’autres sans que la volonté intervienne. Sur la musique de Tannhäuser à Bayreuth, sur celle de Chopin, de Gluck ou les accents de la Marseillaise , elle danse en tunique, pieds et jambes nus. Elle admire Konstantin Stanislavski, fascine Mikhaïl Fokine et porte le culte de la danse jusqu’à la mystique. Contesté, admiré, son art aura une influence considérable non seulement sur les danseurs mais sur une génération de femmes qui verront en Isadora l’incarnation vivante du nouvel idéal féministe. Elle meurt tragiquement en 1927.

Une autre artiste, la Loïe Fuller (1862-1928), contribue à cette rupture avec l’académisme, et ses évolutions de papillon attirent Whistler et Mallarmé. Il faut situer ces tentatives chorégraphiques dans le grand bouleversement des mœurs qui caractérise le passage du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. On jette alors un regard nouveau sur le corps. La mode des bains de mer s’étend. Les femmes montent à bicyclette. Freud analyse les rêves...

L’expressionnisme allemand

C’est dans ce climat qu’un Suisse, Émile Jaques-Dalcroze, avec la rythmique, en 1903, veut libérer le corps instrument direct du sentiment. Son rêve de l’homme intégral s’incarne en un art populaire où le ballet retrouve la forme du cortège. Son influence touche Mary Wigman, Rudolf von Laban, Kurt Joos, Harald Kreutzberg et, à travers Mary Rambert, il franchira d’autres frontières et atteindra les États-Unis, avec Hanya Holm. « Beauté, je veux te changer! » dit le peintre allemand George Grosz. La danse allemande se lie avec le dadaïsme et l’expressionnisme. Elle estime irréconciliable une société qui va vers sa perte. Hantée par le thème de la faute et du crime, elle se veut traduction de névrose et défi agressif. À Munich, Rudolph von Laban étudie le geste quotidien. Il théorise sur l’espace, l’énergie, le temps, et invente une écriture: la « labannotation ». Après Le Titan en 1927, ses compositions abstraites et ses Rythmes naissants aboutissent aux Ballets des jeux Olympiques en 1936. Le régime nazi le rejette. Il part pour l’Angleterre.

Élève de Jaques-Dalcroze, puis de Laban, Mary Wigman est la plus importante chorégraphe de cette époque. Elle commence par participer avec Tristan Tzara aux activités du cabaret Voltaire à Zurich, puis l’influence de Nolde la conduit vers une expression tragique du sentiment. Guerre et révolte sont les thèmes de sa Danse de la sorcière en 1914. Elle recherche une commande instinctive du mouvement et réduit l’orchestre aux percussions. En 1920, à Dresde, sa compagnie donne La Fête , puis Le Monument aux morts en 1930. Son enseignement atteint New York à travers Hanya Holm qui s’était déjà montrée curieuse du style de Laban. Sa Danse macabre pour les jeux Olympiques provoque la protestation des nazis et entraîne la fermeture de son école, mais elle demeure en Allemagne et s’oriente après la guerre vers des œuvres théâtrales: Carmina Burana en 1955, Orphée et Euridyce en 1961.

Formé par Laban, frotté d’académisme, un autre chorégraphe, Kurt Joos, pense dégager de chaque geste un sens et il fonde le Folkwang Tanz Studio à Essen en 1927. Sa Table verte , en 1932, s’oriente vers le théâtre satire mais il devra se réfugier au Chili où il donnera Juventud en 1948. Ses personnages aux vêtements stylisés et aux cheveux gominés annoncent ceux de Pina Bausch, qui apparaît encore comme la dernière incarnation de l’expressionnisme allemand. Oskar Schlemmer lui aussi rêve une essence formelle. Il taille des vêtements abstraits et accentue la rigueur géométrique des formes avec Le Ballet triadique en 1926. « Par les temps qui courent, dit-il, il vaut la peine de concentrer son esprit sur des valeurs qui, par-delà notre époque, sont capables de se suffire à elles-mêmes et relèvent du champ clos, du nombre, de la mesure et de la loi. » Après la guerre, le ballet allemand connaît une renaissance à Stuttgart grâce à John Cranko, mort prématurément, mais l’expressionnisme s’efface à Hambourg devant le néo-classicisme de Peter van Dyk et de John Neumeier.

La création aux États-Unis

Greffe expressionniste

C’est aux États-Unis, fort curieusement, que la greffe expressionniste allemande est la plus florissante après guerre. On a vu comment le style de Rudolf von Laban et de Mary Wigman avait traversé rapidement l’Atlantique. Alwin Nikolaïs, un ancien montreur de marionnettes, va y subir leur influence ainsi que celle de Oskar Schlemmer, fort évidente dans un ballet comme Triad en 1976. Par la suite, ses ballets seront marqués par cette abstraction théâtrale et le désir de rivaliser sur la scène avec l’art du sculpteur et du cinéaste. Murray Louis, qui est le principal interprète de Nikolaïs, créera dans sa propre compagnie des œuvres qui empruntent également au langage du cirque. Susan Buirge, une élève de Nikolaïs, se fixera en France et renoncera à ce style éblouissant pour donner tout son soin à des compositions rigoureuses et sensibles, comme Empreintes en 1977, et le public parisien réservera un accueil si enthousiaste à l’une des principales danseuses de Nikolaïs, Carolyn Carlson, qu’elle restera en France. Un solo sur Densité 21,5 de Varèse révèle en 1973 sa silhouette blonde. À l’Opéra de Paris, elle va de succès en succès avec Sablier prison , et une suite de spectacles traversés par les images du rêve, Xland , L’Or des fous , Les Fous de l’or , Cypher . Elle séduit un public nouveau par une danse fulgurante et fluide.

Les pionniers de la danse moderne

Rien n’est mobile comme la société des danseurs. Ainsi est-on amené à classer dans la perspective de l’expressionnisme allemand ces artistes américains qui ont travaillé à New York après la Seconde Guerre mondiale et dont la dernière vague semble avoir choisi Paris. Or il existe une danse plus spécifiquement américaine qui dès le début du siècle bâtit sa propre histoire sur le terrain préparé par Isadora Duncan. Cet art est teinté de mysticisme. Ainsi, piétiste, autodidacte, delsartienne, Ruth Saint Denis (1877-1968) se sent une seconde Isis. Ce rêve de l’Orient, où elle n’ira qu’en 1921, la fait danser pieds nus. Épouse de Ted Shawn avec qui elle interprète The Garden of Kama , elle fonde la Denishawn School et atteint à une ambition métaphysique avec The Lamp en 1928. Pour dégager le corps du carcan académique, elle fonde la Society of Spirituals Arts – son mari voulait être pasteur. Ses ballets suivent la trame d’une action précise et ils abordent les thèmes américains ou universels. Avec Libertad en 1937, Ted Shawn prend position en faveur de la République espagnole, ou bien, avec Dances of Ages , il est un prédicateur dansant. À travers ses liturgies, le torse devient le centre du mouvement.

Mais pareille danse s’égare dans de vastes ambitions: « Je savais tout de la manière de bouger des Japonais, des Chinois, des Espagnols, mais j’ignorais comment je bougeais », dit Doris Humphrey (1895-1958). Aussi le chorégraphe Charles Weidman opte-t-il pour un théâtre dont les sujets sont plus proprement américains et pour grand public. Doris Humphrey travaille en studio et veut elle aussi que son art s’appuie sur la réalité qui l’entoure. Son premier ballet, Tragica , est un solo silencieux. Plus tard, elle élabore des montages littéraires et musicaux, et crée une trilogie dont la troisième partie, The Piece , est une dénonciation du mode de vie américain. Son œuvre majeure, Lament for Ignacio Sanchez Mejías , est toujours au répertoire de la compagnie Limon. Dans The Art of Making Dance , elle affirme sa rupture avec la Denishawn et entend retrouver ce qu’elle nomme l’« étymologie du geste »: sur la scène dépouillée, son style joue d’une symbolique de l’espace; tomber et se ressaisir sont pour elle l’essence du mouvement. José Limon (1908-1972) suit son exemple avec des œuvres graves – Danza de la muerte ou La Malinche –, tandis que Louis Falco dessine des ballets séduisants comme Champagne .

Martha Graham

Avec Martha Graham (1894-1991), la danse américaine a trouvé sa grande prêtresse. Elle ne s’attaque pas au style classique mais veut capter l’énergie de la vie nouvelle. Il ne fait aucun doute qu’elle a inventé une grande part du vocabulaire de la danse moderne: « ... le spectateur, écrit-elle, doit percevoir une autre intention que la perfection technique, et la ligne de cette intention doit parcourir tout le corps. À chaque instant doit avoir lieu une concentration tournée vers un but. Cela ne peut être réalisé que par la coordination esprit-corps, l’esprit dominant toutes les parties du corps jusqu’à ce qu’il produise cette unité qu’est la passion. » Formée au contact de Ted Shawn, puis secondée par Louis Harst, elle veut interpréter les plus grands rôles. Comme Walt Whitman l’a fait en poésie dans les Feuilles d’herbe , elle chante la terre américaine dans Primitive Misteries , Frontiers , Appalachian Spring , sa passion pour la liberté dans Lamentation et sa révolte dans The Letter of the World . Après la Seconde Guerre mondiale, elle règle des ballets de plus en plus ambitieux dont les personnages sont Médée, Œdipe, Jeanne d’Arc. Elle découvre la psychanalyse et construit sur le signe pour mettre en évidence des images enfouies. Elle rêve d’un rite qui chanterait la grandeur de l’homme.

Martha Graham a également formé des chorégraphes danseurs qui ont été tous à un moment de sa carrière ses interprètes, ainsi Erick Hawkins; Paul Taylor, dont Auréole est le chef-d’œuvre; Alvin Ailey, chorégraphe éclectique attiré par les danses africaines et le show; mais aussi Lester Horton et, à travers lui, Bella Levitsky; Merce Cunningham enfin. Or ce dernier s’écarte d’elle rapidement.

Merce Cunningham

Formé au style Graham mais aussi au style classique, Merce Cunningham va vouloir rompre l’alliance du son et du mouvement. La commande d’une danse sur la Symphonie pour un homme seul de Pierre Schaeffer et Pierre Henry le confirme dans ce choix. La difficulté de trouver des professionnels lui fait ouvrir le registre du geste quotidien à la virtuosité. Sa technique engage ensemble torse et jambes, l’effort portant sur la taille au plus près des hanches. Le ballet n’est plus centré. Dans Summerspace (1958), chaque danseur exécute une échelle de mouvements dont l’ordre d’apparition est calculé avec les dés. Cette introduction du hasard permet de dépasser les limites que fixe à la danse toute interprétation psychologique. C’est aussi une façon de protéger des minimalisations logiques. Cunningham donne aussi des Events composés en fonction du lieu à partir de fragments de ses œuvres fixes. Aucune recherche du scandale chez ce formaliste qui complique simplement à plaisir un art de l’éphémère. Stimulé par l’école du Blackmountain, par son admiration pour Satie et Duchamp, il s’entoure de peintres comme Jasper Johns, John Rauschenberg, et de musiciens comme David Tudor et John Cage dont l’influence est déterminante depuis leur rencontre à la Cornish School de Seattle. Après Un jour ou deux , ballet donné à l’Opéra de Paris, l’influence de Merce Cunningham marque la nouvelle danse française; et il a légué son exigence à la post-modern dance américaine.

La post-modern dance

Ce mouvement purificateur, né aux États-Unis, se rattache aux tendances minimalistes. Bon nombre des danseurs qui ont participé à ces activités viennent de chez Cunningham et se retrouvent dans un collectif d’improvisation, le Grand Union (1970-1976). Sensibles aux mouvements politiques, ils substituent à la notion de spectacle celle de performance, dans la perspective d’un happening. À la tête du mouvement, Yvonne Rainer donne Terrain en 1963 puis Trio A en 1966. Échappant à l’expressivité de Graham, elle avance un objectivisme qui rend à la danse sa matérialité. Ses œuvres peuvent être exécutées par des amateurs. Steve Paxton crée une danse où les corps sont liés l’un à l’autre, le contact improvisation . Trisha Brown explore l’effet produit par l’accumulation des mouvements et offre comme scène à ses danseurs les murs et les toits de New York. Chorégraphe de Bob Wilson, Andrew de Groat s’intéresse aux danses tournantes dans Rope Dance Translation puis, dans Red Notes , il entraîne sa compagnie dans des évolutions sur un texte de Gertrude Stein. On retrouve dans la rigueur répétitive de Lucinda Childs un retour au pur plaisir de la danse. Sous-tendu par une violence neuve, le style de Douglas Dunn n’exclut pas lui non plus l’élégance. Ainsi a-t-il pu régler Pulcinella pour l’Opéra de Paris. Le mouvement de la post-modern dance se révèle riche de formes diverses et contradictoires et trouve en Europe une reconnaissance que ne lui offrent pas les États-Unis, plus sensibles à l’exubérance vitale de Jennyfer Muller, de Twyla Tharp ou à la cocasserie du groupe Pilobolus...

La modernité au Japon

Un mouvement qui revendique une totale modernité est né au Japon. En même temps qu’éclataient les révoltes étudiantes, Miura Isso et Hijikata Tatsumi ont créé avec le Buto une forme de ballet qui veut, par son expression tragique, être l’écho des terribles catastrophes qui ont frappé le Japon. Certes, ils puisent dans la tradition du n 拏 la lenteur de leurs évolutions, mais ils refusent l’esthétique du passé et d’une certaine manière ils seraient plus proches de Mary Wigman dans le commentaire dansé qu’ils donnent à la mort apocalyptique. Ashikawa Yoko avec La Danse des ténèbres , Oono Kazuo avec Hommages à la Argentina sont les représentants les plus raffinés et les plus émouvants de cette danse.

Le ballet contemporain en France

Tandis que la tradition survit intacte en Russie et que les formes nouvelles éclatent en Allemagne, aux États-Unis, au Japon, qu’est devenu le ballet en France où il fut inventé dans sa forme première et où il s’est développé? N’oublions pas que c’est à Paris que les Ballets russes se sont fait reconnaître avant 1914. Or, après avoir été le creuset de la tradition, Paris apparaît aujourd’hui comme un carrefour où coexistent et se croisent tous les styles.

Après 1945, la compagnie d’un riche mécène, le marquis de Cuevas, donne des reprises du plus pur style académique telle: La Belle au bois dormant avec Rosella Hightower; mais la nouveauté vient de Roland Petit qui, de 1945 à 1955, compose une série d’œuvres émouvantes ou brillantes: Les Forains , Le Jeune Homme et la Mort , dansé par Babilée et Nathalie Philippart, L’Œuf à la coque , Le Loup , Carmen enfin, où Zizi Jeanmaire atteint une très grande popularité. Tenté un temps par le music-hall, Roland Petit revient à la danse avec Notre-Dame de Paris , Turangalila sur une musique d’Olivier Messiaen, puis il dirige le Ballet de Marseille avec lequel il monte une série de spectacles nouveaux: Allumez les étoiles , Nana , Coppélia , La Dame de pique avec Mikhaïl Barychnikov.

Une autre jeune chorégraphe dans les années cinquante, Janine Charrat, participe à la rénovation du ballet avec Jeu de cartes puis Algues . En 1963, Michel Descombey tente d’effectuer quelques changements à l’Opéra... mais avec assez peu de bonheur.

Maurice Béjart sait mieux saisir le goût du temps et il emporte les faveurs du public. En 1955, son Ballet sur la symphonie pour un homme seul de Pierre Schaeffer est perçu comme un cri d’angoisse collective. Il soulève l’enthousiasme. Maurice Béjart rêve d’une danse sincère en collants noirs, et qui écartèle le style classique. En 1959, c’est Le Sacre du printemps pour le théâtre de la Monnaie à Bruxelles, puis deux ans plus tard Le Boléro , ballets pleins de vigueur réglés sur l’expression immédiate du désir. Le ballet du XXe siècle est né, un goût de scandale excite ses créations, malgré quelques incursions vers une danse orientale (Bakhti , en 1968) ou une danse plus abstraite (Le Marteau sans maître ). Mais Béjart aspire à un spectacle total: il réalise La Tentation de saint Antoine avec Jean-Louis Barrault et, avec Pierre Henry, La Messe pour un temps présent , mélange de surréalisme, de jerk et de pensée orientale. Les interprètes sont alors Paolo Bortoluzzi, Jorge Donn. Après Nijinsky, clown de Dieu , une inspiration religieuse le conduit à la mystique soufie. Ses ballets sur les gloires culturelles: Baudelaire, Arthaud, Rimbaud ne sont pas les mieux venus, le maître à danser ne retrouvant pas l’habileté des maîtres à penser, mais le public aime ce chorégraphe qui mêle audaces et grâce académique et sait parler, à travers ses danseurs, de lui, passionnément.

Pendant ce temps, on fait appel, à l’Opéra, à des chorégraphes étrangers aussi différents que Merce Cunningham et Youri Grigorovich dont Jean Guiserix et Wilfride Piollet sont les interprètes, tandis que Pierre Lacotte donne des reconstitutions scrupuleuses de La Sylphide , et de Giselle où alternent Ghislaine Thesmar, Noëlla Pontois, Cyril Atanassoff et Michael Denard.

À partir de 1968, des centres chorégraphiques sont créés en province: le Ballet théâtre contemporain s’installe à Amiens puis à Angers, et à Nancy enfin. Félix Blaska remporte un vif succès avec un ballet intitulé Danses concertantes , puis il travaille deux ans à Grenoble. Jacques Garnier et Brigitte Lefèvre installent le Théâtre du silence à La Rochelle, où ils donnent leurs propres créations et invitent les chorégraphes de la post-modern dance. Bagouet se fixe à Montpellier en 1980. Le centre chorégraphique d’Angers, dirigé d’abord par Alwin Nikolaïs, est confié en 1981 à Viola Farber qui a été l’une des premières danseuses de Merce Cunningham.

Il serait vain de prétendre indiquer ici les directions que va prendre la jeune danse française.

Depuis 1975, les groupes se sont multipliés et l’on assiste à un sensible progrès technique des danseurs. Nombre d’entre eux ont reçu une formation classique mais beaucoup suivent très tôt des cours de danse moderne. On enseigne à Paris la technique Graham et celle de Mary Wigman. Carolyn Carlson a eu sur la danse française une très grande influence. Un jeune danseur chorégraphe, Hideyuki Yano, a beaucoup fait pour familiariser les Français avec les techniques japonaises et il n’y a pas de semaine où un danseur de Merce Cunningham ne dirige un atelier à Paris ou en Province.

Mais la danse française que nous voyons apparaître ne saurait être une synthèse de ces styles. Elle aura son caractère propre. Deux tendance se dessinent. Certains créateurs sont à la recherche d’une formule théâtrale, spectaculaire: Régine Chopinot, Karine Saporta, Jean-Claude Galotta..., tandis que d’autres se révèlent plus soucieux de pureté chorégraphique: Odile Duboc, Daniel Larriev, Dominique Bagouet... La jeune danse française est enfin parvenue à retenir l’attention de manière extraordinaire avec le ballet gigantesque réglé par Philippe Decouflé pour l’ouverture des jeux Olympiques d’hiver de 1992.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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